Peut être
que
mon travail est un travail sur la mémoire, sur le souvenir, sur la disparition
des événements dans la pensée, sur la manière singulière dont ils se rappellent
à la conscience, avec des fulgurances, des hasards, des approximations, des
mélanges, des associations ; sur la façon dont les souvenirs se reconstruisent
à partir de ce qui est dit, de ce qui est raconté.
Peut être que mon travail
est un travail sur les mots, sur leur sens, sur leurs sens, sur la façon qu'ils
ont parfois de ne pas dire mais seulement d'être là pour éviter le silence,
sur ces conversations dans lesquelles les mots se superposent, s'ajoutent les
uns aux autres, faisant un brouhaha dans lequel aucun ne compte vraiment mais
où seules comptent les intonations, les intentions.
Peut être que mon travail est un
travail sur le temps qui passe, sur l'instant qui est là et qui s'efface, sur
les mots qui ont été dits et sont tout de suite remplacés par d'autres, sur
les pensées qui vont, qui viennent et que l'on ne peut fixer.
Peut être
que mon travail est un travail sur l'usure des choses, sur leur
disparition progressive, sur la manière dont les objets se rodent et s'érodent,
sur la façon dont ils s'ajustent de mieux en mieux à la main et au regard, sur
la façon dont ils se brisent et deviennent des souvenirs.
Peut être
que mon travail est un travail sur le désir de laisser des traces, de prolonger
le temps, de traduire l'instantanéité du présent dans une durée qui ne soit
pas seulement le point qui sépare le passé de ce qui n'est pas encore.
Peut être
que mon travail est un travail sur la multiplicité des points de vue, sur les
illusions dues à la distance, à l'angle du regard, sur ce que l'on croit voir,
sur ce que l'on veut voir, sur ce que l'on peut voir.
Peut être
que mon travail est un travail sur la difficulté à dire, sur la difficulté à
communiquer, sur le fait que ce que l'on dit n'est jamais tout à fait ce que
l'on veut dire, sur le fait que ce que l'on entend, ce que l'on comprend, n'est
jamais tout à fait ce qui est dit.
Mais peut être aussi que mon travail est tout autre chose que j'ignore, que
je ne peux pas voir ou que je ne veux pas connaître