Texte envoyé par un visiteur suite à l'exposition à Hang'Art à Grenoble en 2005  
     
 

L'on a presque honte d'écrire après François Catrin qui nous offre, pour présenter son travail, un texte d'une si belle générosité.
No comment ! Mot d'ordre du modeste… Croix que l'on devine, invisible pourtant, rageusement gravée, biffant le commentaire dont Péguy disait qu'il ne fait pas une œuvre… Pas plus que le schéma ne saurait la fonder… Ne pas comprendre, être touché, s'émouvoir, suivre ces pistes laissées par le pinceau jusqu'à ce que leurs empreintes évoquent les spirales que gravent les fossiles… Alors seulement s'interroger, se demander si la poussière, le sédiment, ne sont pas des traces laissées par un rêve qu'on croyait avoir oublié…
Le doute naît de l'incertitude, de l'insatisfaction à ne pouvoir poser un calque sur le rêve dont sont nées ces toiles. Et, si l'artiste travaille sur la mémoire (l'incompréhensible contradiction du souvenir et du néant, disait Proust), il m'a dit partir d'une couleur. J'aimerais ne pas m'imposer en lui disant que la couleur symbolise l'espace, tandis que les mots, patiemment découpés, raboutés, sont, eux, tissés de temps.
Curieusement, les verts sombres dont est fait bien souvent l'espace de l'artiste, m'évoquent ceux d'un océan, le glauque des bouteilles dans lesquelles flotterait des bribes de messages. Lettres faites d'écumes évanescentes et qu'il faudrait relier pour reconstruire un langage assez fort pour faire vivre un autre souvenir, se poser à l'intersection de la mémoire et du rêve, du souvenir et du désir. Toiles retissées, défaites, retressées de nouveau jusqu'à ce que le non-dit prenne forme, que l'on retrouve sa trame.
Au sein de ces compositions, des vignettes plus claires, ces résidus du rêve quand s'entrouvrent les yeux, ce qui reste et ne peut être biffé par les pensées qui s'éveillent, fébriles, générant ces graffitis indéchiffrables que fixe le vernis. Visions plus claires qui peuvent être celles qu'un condamné aurait par la fenêtre de sa cellule : la clarté d'un champ, l'immobilité d'un homme, un arbre simplement, ou bien le d'un désir d'un futur qu'à pouvoir imaginer l'on saurait réel, promesse claire, portée par les entrelacs des mots.
Du tableau naît l'illusion, l'impression que l'on a de pouvoir s'emparer de l'horizon, de saisir l'instant qu'imposerait, sans avertir, le souvenir. Exil vers le nombre d'or, sensation de voguer dans un mirage où tout deviendrait limpide soudain, évident.
Refuser de savoir, cher François, n'est pas ne pas connaître. Vos forêts de mots marchent, s'ouvrent sur des clairières ou chacun peu toucher sa pierre philosophale. Il importe peu que les pensées divergent et se séparent. Elles ne sont pas faites pour se rencontrer trop longtemps dans les contrées du rêve, mais ce sont ces contrées dont vous tressez les lisières. Vous ne faites que feindre en avoir perdu les clés, vous les avez laissées dans le regard des autres.

Jacques DUCRET
Grenoble Juin 2005

 

Début - Retour