L'on a presque honte d'écrire après François Catrin
qui nous offre, pour présenter son travail, un texte d'une si
belle générosité.
No comment ! Mot d'ordre du modeste
Croix que l'on devine, invisible
pourtant, rageusement gravée, biffant le commentaire dont Péguy
disait qu'il ne fait pas une uvre
Pas plus que le schéma
ne saurait la fonder
Ne pas comprendre, être touché,
s'émouvoir, suivre ces pistes laissées par le pinceau
jusqu'à ce que leurs empreintes évoquent les spirales
que gravent les fossiles
Alors seulement s'interroger, se demander
si la poussière, le sédiment, ne sont pas des traces laissées
par un rêve qu'on croyait avoir oublié
Le doute naît de l'incertitude, de l'insatisfaction à ne
pouvoir poser un calque sur le rêve dont sont nées ces
toiles. Et, si l'artiste travaille sur la mémoire (l'incompréhensible
contradiction du souvenir et du néant, disait Proust), il m'a
dit partir d'une couleur. J'aimerais ne pas m'imposer en lui disant
que la couleur symbolise l'espace, tandis que les mots, patiemment découpés,
raboutés, sont, eux, tissés de temps.
Curieusement, les verts sombres dont est fait bien souvent l'espace
de l'artiste, m'évoquent ceux d'un océan, le glauque des
bouteilles dans lesquelles flotterait des bribes de messages. Lettres
faites d'écumes évanescentes et qu'il faudrait relier
pour reconstruire un langage assez fort pour faire vivre un autre souvenir,
se poser à l'intersection de la mémoire et du rêve,
du souvenir et du désir. Toiles retissées, défaites,
retressées de nouveau jusqu'à ce que le non-dit prenne
forme, que l'on retrouve sa trame.
Au sein de ces compositions, des vignettes plus claires, ces résidus
du rêve quand s'entrouvrent les yeux, ce qui reste et ne peut
être biffé par les pensées qui s'éveillent,
fébriles, générant ces graffitis indéchiffrables
que fixe le vernis. Visions plus claires qui peuvent être celles
qu'un condamné aurait par la fenêtre de sa cellule : la
clarté d'un champ, l'immobilité d'un homme, un arbre simplement,
ou bien le d'un désir d'un futur qu'à pouvoir imaginer
l'on saurait réel, promesse claire, portée par les entrelacs
des mots.
Du tableau naît l'illusion, l'impression que l'on a de pouvoir
s'emparer de l'horizon, de saisir l'instant qu'imposerait, sans avertir,
le souvenir. Exil vers le nombre d'or, sensation de voguer dans un mirage
où tout deviendrait limpide soudain, évident.
Refuser de savoir, cher François, n'est pas ne pas connaître.
Vos forêts de mots marchent, s'ouvrent sur des clairières
ou chacun peu toucher sa pierre philosophale. Il importe peu que les
pensées divergent et se séparent. Elles ne sont pas faites
pour se rencontrer trop longtemps dans les contrées du rêve,
mais ce sont ces contrées dont vous tressez les lisières.
Vous ne faites que feindre en avoir perdu les clés, vous les
avez laissées dans le regard des autres.
Jacques DUCRET
Grenoble Juin 2005